Face au chevalet de Paul, je ne peux m'empêcher d'imaginer sa première leçon de peinture avec Gauguin, au cœur du Bois d'Amour le long de l'Aven. Sa voix résonne dans mon esprit : « Comment voyez-vous cet arbre ? Il est vert. Mettez du vert, le plus beau vert de votre palette. Et cette ombre ; plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible ». Ceci incita Paul à user des couleurs vives, à exagérer ses visions décoratives et symboliques.
En vacances à Huelgoat, il séjourna dans l'un de ces grands hôtels qui organisaient des bals pour distraire le beau monde. Dans ce cadre bucolique et ces collines mystérieuses, il abandonna les aplats de couleurs pour les nuancer de noir et de blanc. Ses peintures devinrent plus ternes.
En fermant les yeux sous le pommier en fleur de notre verger, je l'imagine peindre ses rêves en observant la campagne ondulante, cloisonnée de talus où serpente le canal silencieux du pays Dardoup. Depuis sa mort, je consacre mon temps et mon énergie à le faire vivre à travers son art. Cet homme qui fut mon mari, mon maître.
Marguerite Sérusier, juin 1928.